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Gagner la Guerre de Jean-Philippe Jaworski

couverture arnaud cremet gagner la guerre
" Le jeu est une pente : on commence à la descendre tranquillement, avec plaisir, avec l'illusion de la maîtrise, et puis à mesure qu'on avance, on prend de l'élan, la promenade devient course, cavalcade, dégringolade.
 Une partie suit l'autre, qui appelle la suivante, qui nécessite une revanche, ce qui impose la belle, qui vous laisse un goût d'inachevé,ce qui fait qu'on relance d'une, de deux, de trois, et quand tout l'argent est d'un côté de la table, alors là plus question de lâcher, c'est à ce moment que le jeu commence vraiment, que les choses prennent toute leur saveur ... "

Benevuto Gesufal, assassin émérite de la guilde des Chuchoteurs, maître espion de Son Excellence le Podestat de la République


Pour étrenner cette nouvelle rubrique consacrée à la lecture de romans (essentiellement dans le domaine Science-Fiction, Fantasy et autres mondes parallèles ) je ne pouvais que choisir ce roman de Jean-Philippe Jaworski  : Gagner la guerre.

Avant d'aborder le thème de l'histoire, c'est le style de l'écrivain, auteur français, qui a retenu mon attention tant la richesse, le vocabulaire et l'imagerie de ses écrits vous plonge dans la réalité de sa narration. La sensation de suivre les pas des personnages, des regards scruter les réactions, de voir les scènes tel un spectateur invisible jusqu'au moindre détails. C'est bluffant!

Le récit est celui d'un gredin devenu soldat puis tueur qui a toujours réussi à garder ses dents, pas en tant que diplomate et raconte lui même ses aventures et autres déboires sous les ordres de son Maître.
Homme de main, espion ou assassin, il parcourt la cité  et voyage au sein du Vieux Royaume afin de régler, à sa manière (et souvent sans manières) les différends entre Son Excellence et les autres Maisons, entre intrigues politiques, jeux de pouvoirs ou tout simplement règlement de comptes au vu de son tempérament qui le met dans des situations plus que désagréables.
Usant de perspicacité mais ne donnant pas toujours dans la dentelle, l'aventure s'entremêle de courses- poursuites échevellées, de duels parfois tripiers, de débauches biens senties.
Cet homme là est bien vivant, certainement peu recommandable mais tellement ancré dans les coups bas, les écarts bien pensant , jouissant des travers et jouant avec le feu qu'il en acquiert une forte incarnation. On ne suit pas un héros, mais un homme qui survit dans un monde dangereux mais il est le premier à s'y jeter à bras ouverts.

La magie  (la nécromancie surtout ) est présente également  (ainsi que certaines créatures appartenant à l'Héroic Fantasy ) mais le récit correspond plus à un monde de la renaissance Italienne (vous avez dit machiavelique? ;)

Jaworski réussit un véritable tour de force avec ce roman, haut en couleurs mais souvent sombres, crues et bien réelles.

Je n'ai pas envie d'en dévoiler plus tant cette découverte est vraiment superbe.

couverture Jean -Philippe Jaworski : Janua Vera


A noter un autre livre de Jean -Philippe Jaworski: Janua Vera, recueil de nouvelles se passant dans le Vieux Royaume ( monde auquel appartient le roman Gagner la guerre ) et se passant à différentes époques. On retrouve la même écriture et surtout une nouvelle avec Don Benevuto Gesufal, qui se situe avant le déroulement de "Gagner la guerre".

Jaworski est également auteur de Jeux de Rôles et la lecture de ce livre reflète bien cette influence et peut inspirer nombre d'idées de scénarios pour les rolistes jouant dans des mondes tels que Lankhmar ou Laelith par exemple.

Un livre à découvrir. Très gros coup de coeur

 Extraits  de Gagner la guerre ) :

"Le lendemain de ma biture, j'étais dans un état lamentable. J'avais un tambourin au fond de la calebasse, les cheveux qui tiraient comme si on me les avait cardés, la bouche plus sèche qu'un coffre à sel. J'eus la tentation d'y apporter un remède de soldat, celui qu'on trouve au fond d'un flacon. Il me fallait faire un sacré effort pour arrêter les dégats."

"Dût ma modestie en souffrir, je dois révéler à mon lecteur admiratif que mon épée valait celle de ces deux ruffians...mais quand j'étais à jeun et en pleine forme.
Ce jour là, je me fis humilier dans les grandes largeurs : étrillé avec une précision impitoyable, marqué sous toutes les coutures, sans pouvoir rendre la politesse. J'aurais eu toutes mes dents, j'en aurais mangé mon chapeau."

"Dans le milieu de la truanderie, il était ce qu'on appelle un lézard, un expert de la poudre aux yeux, de l'infiltration, de l'imposture. C'est un spécialiste de la mue, un champion de l'incognito, un virtuose du ni vu ni connu...
 --- Tout son art tenait dans son sens du mimétisme: un lézard ne se cache pas, ne se masque pas, ne se livre pas à un stupide jeu d'acteur. Il sait juste adopter avec naturel les attitudes et les comportements de l'humanité ordinaire; il se contente d'emprunter tous les gestes, les accents, les allures, sans jamais appuyer ou surjouer."

"Je suis allergique aux enterrements. Ca peut sembler bizarre, compte tenu de mon fonds de commerce, mais c'est ainsi. J'ai mes raisons. Tuer et inhumer, c'est deux activités différentes. Buter un quidam, pour un affranchi, c'est gratifiant. Ca demande au minimum de coeur au ventre, ça nécessite un vrai sens du contact, c'est un peu sale, c'est rapide; c'est payant: bref, c'est une réelle expérience humaine, directe et sans complications. Enterrer le même quidam, par contre, quelle corvée ! C'est codifié, grégaire, faux cul, interminable. Ca sublime toutes les vicissitudes du banquet de mariage, en noir et sans les pince-fesse.
La douleur sincère de quelques naifs copule d'obscène manières avec les larmes obligées du plus grand nombre."

" La vie est une chierie. La naissance, c'est une expulsion obscène, pleine de cris; de sang et de mucus...
---C'est aussi la première occasion pour le chiard de se retrouver la tête au carré: à peine dégringolé, on le tabasse jusqu'à ce qu'il gueule; ensuite on le rectifie au couteau, histoire de le couper du paradis terrestre et de lui signifier que c'est la vie, que les ennuis ne font que commencer. Mourir, par comparaison, c'est déconcertant de facilité- et croyez moi, je sais de quoi je parle.
---Ce qui est dur, ce qui est effrayant, ce qui fait la différence entre un beau mort et un cadavre torturé, ce n'est pas la camarde: c'est l'obstination avec laquelle la vie s'est accrochée à une viande condamnée."